Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

utile*

[*Voici un exemple des tours que me joue ma mémoire. Long-temps après avoir écrit ceci, je viens d’apprendre en causant avec ma femme de son vieux bon-homme de père, que ce ne fut point M. D’H[...]k, mais M. de Chenonceaux, alors un des administrateurs de l’Hôtel-Dieu, qui le fit placer. J’en avois si totalement perdu l’idée & j’avois celle de M. d’H[...]k si présente, que j’aurois juré pour ce dernier.] pour placer le vieux bon homme le Vasseur, qui avoit plus de quatre-vingts ans & dont sa femme, qui s’en sentoit surchargée, ne cessoit de me prier de la débarrasser. Il fut mis dans une maison de charité, où l’âge & le regret de se voir loin de sa famille le mirent au tombeau presque en arrivant. Sa femme & ses autres enfans le regrettèrent peu ; mais Thérèse, qui l’aimoit tendrement, n’a jamais pu se consoler de sa perte & d’avoir souffert que, si près de son terme, il allât loin d’elle achever ses jours.

J’eus à-peu-près dans le même tems une visite à laquelle je ne m’attendois guère, quoique ce fût une bien ancienne connoissance. Je parle de mon ami Venture, qui vint me surprendre un beau matin, lorsque je ne pensois à rien moins. Un autre homme étoit avec lui. Qu’il me parût changé ! Au lieu de ses anciennes grâces, je ne lui trouvai plus qu’un air crapuleux qui m’empêcha de m’épanouir avec lui. Ou mes yeux n’étoient plus les mêmes, ou la débauche avoit abruti son esprit, ou tout son premier éclat tenoit à celui de la jeunesse, qu’il n’avoit plus. Je le vis presque avec indifférence & nous nous séparâmes assez froidement. Mais quand il fut parti, le souvenir de nos anciennes liaisons me rappela si vivement celui de mes jeunes ans, si doucement, si sagement consacrés à cette femme angélique, qui maintenant