Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/187

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n’étoit guère moins changée que lui, les petites anecdotes de cet heureux temps, la romanesque journée de Toune, passée avec tant d’innocence & de jouissance entre ces deux charmantes filles dont une main baisée avoit été l’unique faveur & qui, malgré cela, m’avoit laissé des regrets si vifs, si touchants, si durables ; tous ces ravissans délires d’un jeune cœur, que j’avois sentis alors dans toute leur force & dont je croyois le tems passé pour jamais ; toutes ces tendres réminiscences me firent verser des larmes sur ma jeunesse écoulée & sur ses transports désormois perdus pour moi. Ah ! combien j’en aurois versé sur leur retour tardif & funeste, si j’avois prévu les maux qu’il m’alloit coûter !

Avant de quitter Paris j’eus durant l’hiver qui précéda ma retraite, un plaisir bien selon mon cœur & que je goûtai dans toute sa pureté. Palissot, académicien de Nancy, connu par quelques drames, venoit d’en donner un à Lunéville, devant le roi de Pologne. Il crut apparemment faire sa Cour en jouant, dans ce drame, un homme qui avoit osé se mesurer avec le roi la plume à la main. Stanislas, qui étoit généreux & qui n’aimoit pas la satire, fut indigné qu’on osât ainsi personnaliser en sa présence. M. le comte de Tressan écrivit, par l’ordre de ce prince, à d’Alembert & à moi, pour m’informer que l’intention de Sa Majesté étoit que le sieur Palissot fût chassé de son académie. Ma réponse fut une vive prière à M. de Tressan d’intercéder auprès du roi de Pologne pour obtenir la grace du sieur Palissot. La grace fut accordée, & M. de Tressan, en me le marquant au nom du roi, ajouta que ce fait seroit inscrit sur les registres de l’académie. Je