Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/225

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Je trouvois que pour des gens tous plus jeunes que moi, & qui tous auroient eu grand besoin pour eux-mêmes des leçons qu’ils me prodiguoient, c’étoit aussi trop me traiter en enfant. Aimez-moi, leur disais-je, comme je vous aime, & du reste, ne vous mêlez pas plus de mes affaires que je ne me mêle des vôtres ; voilà tout ce que je vous demande. Si de ces deux choses ils m’en ont accordé une, ce n’a pas été du moins la dernière.

J’avois une demeure isolée, dans une solitude charmante, maître chez moi, j’y pouvois vivre à ma mode sans que personne eût à m’y contrôler. Mais cette habitation m’imposoit des devoirs doux à remplir, mais indispensables. Toute ma liberté n’étoit que précaire ; plus asservi que par des ordres, je devois l’être par ma volonté : je n’avois pas un seul jour dont, en me levant je pusse dire : j’employerai ce jour comme il me plaira. Bien plus ; outre ma dépendance des arrangemens de Mde. D’

[épina] y, j’en avois une autre bien plus importune, du public & des survenans. La distance où j’étois de Paris n’empêchoit pas qu’il ne me vînt journellement des tas de désœuvrés, qui, ne sachant que faire de leur temps, prodiguoient le mien sans aucun scrupule. Quand j’y pensois le moins j’étois impitoyablement assailli, & rarement j’ai fait un joli projet pour ma journée, sans le voir renverser par quelque arrivant.

Bref ; au milieu des biens que j’avois le plus convoités, ne trouvant point de pure jouissance, je revenois par élan aux jours sereins de ma jeunesse, & je m’écriois quelquefois en soupirant : Ah ! ce ne sont pas encore ici les Charmettes !