Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/363

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tout ou rien ; bientôt je fus tout, & me voyant fêté, gâté par des personnes de cette considération, je passai les bornes, & me pris pour eux d’une amitié qu’il n’est permis d’avoir que pour ses égaux. J’en mis toute la familiarité dans mes manières, tandis qu’ils ne se relâchèrent jamais dans les leurs de la politesse à laquelle ils m’avoient accoutumé. Je n’ai pourtant jamais été très à mon aise avec Mde. la Maréchale. Quoique je ne fusse pas parfaitement rassuré sur son caractère, je le redoutois moins que son esprit. C’étoit par là sur-tout qu’elle m’en imposoit. Je savois qu’elle étoit difficile en conversations, & qu’elle avoit droit de l’être. Je savois que les femmes & sur-tout les grandes Dames, veulent absolument être amusées, qu’il vaudroit mieux les offenser que les ennuyer, & je jugeois par ses commentaires sur ce qu’avoient dit les gens qui venoient de partir, de ce qu’elle devoit penser de mes balourdises. Je m’avisai d’un supplément pour me sauver auprès d’elle l’embarras de parler ; ce fut de lire. Elle avoit oui parler de la Julie ; elle savoit qu’on l’imprimoit ; elle marqua de l’empressement de voir cet ouvrage ; j’offris de le lui lire ; elle accepta. Tous les matins je me rendois chez elle sur les dix heures ; M. de Luxembourg y venoit : on fermoit la porte. Je lisois à côté de son lit, & je compassai si bien mes lectures, qu’il y en auroit eu pour tout le voyage, quand même il n’auroit pas été interrompu.*

[*La perte d’une grande bataille, qui affligea beaucoup le roi, força M. de Luxembourg de retourner précipitamment à la cœur.] Le succès de cet expédient passa mon attente. Mde. de Luxembourg s’engoua de la Julie & de