Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/364

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son auteur ; elle ne parloit que de moi, ne s’occupoit que de moi, me disoit des douceurs toute la journée, m’embrassoit dix fois le jour. Elle voulut que j’eusse toujours ma place à table à côté d’elle ; & quand quelques seigneurs vouloient prendre cette place, elle leur disoit que c’étoit la mienne, & les faisoit mettre ailleurs. On peut juger de l’impression que ces manières charmantes faisoient sur moi, que les moindres marques d’affection subjuguent. Je m’attachois réellement à elle, à proportion de l’attachement qu’elle me témoignoit. Toute ma crainte, en voyant cet engouement, & me sentant si peu d’agrément dans l’esprit pour le soutenir, étoit qu’il ne se changeât en dégoût, & malheureusement pour moi cette crainte ne fut que trop bien fondée.

Il falloit qu’il y eût une opposition naturelle entre son tour d’esprit & le mien, puisque indépendamment des foules de balourdises qui m’échappoient à chaque instant dans la conversation, dans mes lettres même, & lorsque j’étois le mieux avec elle, il se trouvoit des choses qui lui déplaisoient, sans que je pusse imaginer pourquoi. Je n’en citerai qu’un exemple, & j’en pourrois citer vingt. Elle sut que je faisois pour Mde.d’H....

[d’Houdetot] une copie de l’Héloise, à tant la page. Elle en voulut avoir une sur le même pied. Je la lui promis ; & la mettant par là du nombre de mes pratiques, je lui écrivis quelque chose d’obligeant & d’honnête à ce sujet ; du moins telle étoit mon intention. Voici sa réponse, qui me fit tomber des nues :

À Versailles, ce mardi.

"Je suis ravie, je suis contente, votre lettre m’a fait un