Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/78

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tend indifféremment la main pour saisir l’objet qui le touche, ou l’objet qui est à cent pas de lui. Cet effort qu’il fait vous paroit un signe d’empire, un ordre qu’il donne à l’objet de s’approcher, ou à vous de le lui apporter ; & point du tout, c’est seulement que les mêmes objets qu’il voyoit d’abord dans son cerveau, puis sur ses yeux, il les voit maintenant au bout de ses bras, & n’imagine d’étendue que celle où il eut atteindre. Ayez donc soin de le promener souvent, de le transporter d’une place à l’autre, de lui faire sentir le changement de lieu, afin de lui apprendre à juger des distances. Quand il commencera de les connaître, alors il faut changer de méthode, & ne le porter que comme il vous plaît, & non comme il lui plaît ; car sitôt qu’il n’est plus abusé par le sens, son effort change de cause : ce changement est remarquable, & demande explication.

Le malaise des besoins s’exprime par des signes quand le secours d’autrui est nécessaire pour y pourvoir : de là les cris des enfants. Ils pleurent beaucoup ; cela doit être. Puisque toutes leurs sensations sont affectives, quand elles sont agréables, ils en jouissent en silence ; quand elles sont pénibles, ils le disent dans leur langage, & demandent du soulagement. Or, tant qu’ils sont éveillés, ils ne peuvent presque rester dans un état d’indifférence ; ils dorment, ou sont affectés.

Toutes nos langues sont des ouvrages de l’art. On a longtemps cherché s’il y avoit une langue naturelle & commune à tous les hommes ; sans doute, il y en a une ; et c’est celle que les enfans parlent avant de savoir parler.