Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Cette Langue n’est pas articulée, mais elle est accentuée, sonore, intelligible. L’usage des nôtres nous l’a fait négliger au point l’oublier tout-à-fait. Etudions les enfans, & bientôt nous la rapprendrons auprès d’eux. Les nourrices sont nos maîtres dans cette Langue, elles entendent tout ce que disent leurs nourrissons ; elles leur répondent, elles ont avec eux des dialogues très-bien suivis ; & quoiqu’elles prononcent des mots, ces mots sont parfaitement inutiles, ce n’est point le sens du mot qu’ils entendent, mais l’accent dont il est accompagné.

Au langage de la voix se joint celui du geste, non moins énergique. Ce geste n’est pas dans les foibles mains des enfans, il est sur leurs visages. Il est étonnant combien ces physionomies mal formées ont déjà d’expression ; traits changent d’un instant à l’autre avec une inconcevable rapidité : vous y voyez le sourire, le désir, l’effroi naître & passer comme autant d’éclairs : à chaque fois vous croyez voir un autre visage. Ils ont certainement les muscles de la face plus mobiles que nous. En revanche, leurs yeux ternes ne disent presque rien. Tel doit être le genre de leurs signes dans un âge où l’on n’a que des besoins corporels ; l’expression des sensations est dans les grimaces, l’expression ses sentiments est dans les regards.

Comme le premier état de l’homme est la misère & la foiblesse, ses premieres voix sont la plainte & les pleurs. L’enfant sent ses besoins, & ne les peut satisfaire, il implore le secours d’autrui par des cris : s’il a faim ou soif, il pleure ; s’il a trop froid ou trop chaud, il pleure ; s’il a