Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il seroit très dangereux qu’il apprit à votre élève à donner le change à ses sens & à suppléer aux occasions de les satisfaire : s’il connaît une ois ce dangereux supplément, il est perdu. Dès lors il aura toujours le corps & le cœur énervés ; il portera jusqu’au tombeau les tristes effets de cette habitude, la plus funeste à laquelle un jeune homme puisse être assujetti. Sans doute il vaudroit mieux encore… Si les fureurs d’un tempérament, ardent deviennent invincibles, mon cher Émile, je le te plains ; mais je ne balancerai pas un moment, le ne souffrirai point que la fin de la nature soit éludée. S’il faut qu’un tyran te subjugue, le te livre par préférence à celui ont je peux te délivrer : quoi qu’il arrive, je t’arracherai plus aisément aux femmes qu’à toi.

Jusqu’à vingt ans le corps croit, il a besoin de toute sa substance : la continence est alors dans l’ordre de la nature, & l’on n’y manque guère qu’aux dépens de sa constitution. Depuis vingt ans la continence est un devoir de morale ; elle importe pour apprendre à régner sur soi-même, à rester le maître de ses appétits. Mais les devoirs moraux ont leurs modifications, leurs exceptions, leurs règles. Quand la faiblesse humaine rend une alternative inévitable, de deux maux préférons le moindre ; en tout état de cause il vaut mieux commettre une faute que de contracter un vice.

Souvenez-vous que ce n’est plus de mon élève que je parle ici c’est du vôtre. Ses passions, que vous avez laissées &, vous subjuguent : cédez-leur donc ouvertement, & sans lui déguiser sa victoire. Si vous savez la lui montrer dans son vrai, il en sera moins fier que honteux, & vous