Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/163

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vous ménagerez le droit de le guider durant son égarement, pour lui faire au moins éviter les précipices. Il importe que le disciple ne fasse rien que le maître ne le sache & ne le veuille, pas même ce qui est mal ; & il vaut cent fois mieux que le gouverneur approuve une faute & se trompe, que s’il étoit trompé par son élève, & que la faute se fît sans qu’il en sût rien. Qui croit devoir fermer les yeux sur quelque chose, se voit bientôt forcé de les fermer sur tout : le premier abus toléré en amène un autre, & cette chaîne ne finit plus qu’au renversement de tout ordre & au mépris de toute loi.

Une autre erreur que j’ai déjà combattue, mais qui ne sortira jamais des petits esprits, c’est d’affecter toujours la dignité magistrale, & de vouloir passer pour un homme parfait dans l’esprit de son disciple. Cette méthode est à contresens. Comment ne voient-ils pas qu’en voulant affermir leur autorité ils la détruisent, que pour faire écouter ce qu’on dit il faut se mettre à la place de ceux à qui l’on s’adresse, & qu’il faut être homme pour savoir parler au cœur humain ? Tous ces gens parfaits ne touchent ni ne persuadent : on se dit toujours qu’il leur est bien aisé de combattre des passions qu ils ne sentent pas. Montrez vos faiblesses à votre élève, si vous voulez le guérir des siennes ; qu’il voye en vous les mêmes combats qu’il éprouve, qu’il apprenne à se vaincre à votre exemple, & qu’il ne dise pas comme les autres : ces vieillards dépités de n’être plus jeunes, veulent traiter les jeunes gens en vieillards & parce que tous leurs désirs sont éteints, ils nous font un crime des nôtres.