Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/273

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connaître ; il faut en avoir senti les douceurs dès l’enfance. Ce n’est que dans la maison paternelle qu’on prend du goût pour sa propre maison, & toute femme que sa mère n’a point élevée n’aimer point élever ses enfants. Malheureusement il n’y a plus d’éducation privée dans les grandes villes. La société y est si générale & si mêlée, qu’il ne reste plus d’asile pour la retraite, & qu’on est en public chez soi. À force de vivre avec tout le monde, on n’a plus de famille ; à reine connoît-on ses parents : on les voit en étrangers ; & la simplicité des mœurs domestiques s’éteint avec la douce familiarité qui en faisoit le charme. C’est ainsi qu’on suce avec le lait le goût des plaisirs du siècle & des maximes qu’on y voit régner.

On impose aux filles une gêne apparente pour trouver des dupes qui les épousent sur leur maintien. Mais étudiez un moment ces jeunes personnes ; sous un air contraint elles déguisent mal la convoitise qui les dévore, & dévore, & déjà on lit dans leurs yeux l’ardent désir d’imiter leurs mères. Ce qu’elles convoitent n’est pas un mari, mais la licence du mariage. Qu’a-t-on besoin d’un mari, avec tant de ressources pour s’en passer ? Mais on a besoin d’un mari pour couvrir ces ressources. *

[* La voie de l’homme dans sa jeunesse étoit une des quatre choses que le sage ne pouvoit comprendre ; la cinquième étoit l’impudence de la femme adultère. "quae comédit, & tergens os suum dicit : Non sum operata malum." Proverbes xxx, 20. ] La modestie est sur leur visage, & le libertinage est au fond de leur cœur : cette feinte modestie elle-même en est un signe. Elles ne l’affectent que pour pouvoir s’en