Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/405

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En même temps que les observations deviennent plus difficiles, elles se font plus négligemment & plus mal ; c’est une autre raison du peu de succès de nos recherches dans l’Histoire naturelle du genre humain. L’instruction qu’on retire des voyages se rapporte à l’objet qui les fait entreprendre. Quand cet objet est un système de Philosophie, le voyageur ne voit jamais que ce qu’il veut voir ; quand cet objet est l’intérêt, il absorbe toute l’attention de ceux qui s’y livrent. Le commerce & les arts, qui mêlent & confondent les peuples, les empêchent aussi de s’étudier. Quand ils savent le profit qu’ils peuvent faire l’un avec l’autre, qu’ont-ils de plus à savoir ?

Il est utile à l’homme de connoître tous les lieux où l’on peut vivre, afin de choisir ensuite ceux où l’on peut vivre le plus commodément. Si chacun se suffisoit à lui-même, il ne lui importeroit de connoître que le pays qui peut le nourrir. Le Sauvage, qui n’a besoin dé personne, & ne convoite rien au monde, ne connaît & ne cherche à connoître d’autres pays que le sien. S’il est forcé de s’étendre pour subsister, il fuit les lieux habités par les hommes ; il n’en veut qu’aux bêtes, & n’a besoin que d’elles pour se nourrir. Mais pour nous, à qui la vie civile est nécessaire, & qui ne pouvons plus nous passer de manger des hommes, l’intérêt de chacun de nous est de fréquenter les pays où l’on en trouve le plus. Voilà pourquoi tout afflue à Rome, à Paris, à Londres. C’est toujours dans les Capitales que le sang humain se vend à meilleur marché. Ainsi l’on ne connoît que les grands peuples, & les grands peuples se ressemblent tous.