Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/406

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Nous avons, dit-on, des savants qui voyagent pour s instruire ; c’est une erreur ; les savants voyagent par intérêt comme les autres. Les Platon, les Pythagore ne se trouvent plus, ou, s’il y en a, c’est bien loin de nous. Nos savants ne voyagent que par ordre de la cour ; on les dépêche, on les défraye, on les paye pour voir tel ou tel objet, qui tés sûrement n’est pas un objet moral. Ils doivent tout leur temps à cet objet unique ; ils sont trop honnêtes gens pour voler leur argent. Si, dans quelque pays que ce puisse être, des curieux voyagent à leurs dépens, ce n’est jamais pour étudier les hommes, c’est pour les instruire. Ce n’est pas de science qu’ils ont besoin, mais d’ostentation. Comment apprendroient-ils dans leurs voyages à secouer le joug de l’opinion ? ils ne les font que pour elle.

Il y a bien de la différence entre voyager pour voir du pays ou pour voir des peuples. Le premier objet est toujours celui des curieux, l’autre n’est pour eux qu’accessoire. Ce doit être tout le contraire pour celui qui veut philosopher. L’enfant observe les choses en attendant qu’il puisse observer les hommes. L’homme doit commencer par observer ses semblables, & puis il observe les choses s’il en a le temps.

C’est donc mal raisonner que de conclure que les voyages sont inutiles, de ce que nous voyageons mal. Mais, l’utilité des voyages reconnue, s’ensuivra-t-il qu’ils conviennent à tout le monde ? Tant s’en faut ; ils ne conviennent au contraire qu’à très peu de gens ; ils ne conviennent qu’aux hommes assez fermes sur eux-mêmes pour écouter les leçons de l’erreur sans se laisser séduire, & pour voir l’exemple du vice