Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/407

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sans se laisser entraîner. Les voyages poussent le naturel vers sa pente, et achèvent de rendre l’homme bon ou mauvais. Quiconque revient de courir le monde est à son retour ce qu’il sera toute sa vie : il en revient plus de méchants que de bons, parce qu’il en part plus d’enclins au mal qu’au bien. Les jeunes gens mal élevés & mal conduits contractent dans leurs voyages tous les vices des peuples qu’ils fréquentent, & pas une des vertus dont ces vices sont mêlés ; mais ceux qui sont heureusement nés, ceux dont on a bien cultivé le bon naturel & qui voyagent dans le vrai dessein de s’instruire, reviennent tous meilleurs & plus sages qu’ils n’étoient partis. Ainsi voyagera mon Emile : ainsi avoit voyagé ce jeune homme, digne d’un meilleur siècle, dont l’Europe étonnée admira le mérite, qui mourut pour son pays à la fleur de ses ans, mais qui méritoit de vivre, & dont la tombe, ornée de ses seules vertus, attendoit pour être honorée qu’une main étrangère y semât des fleurs.

Tout ce qui se fait par raison doit avoir ses règles. Les voyages, pris comme une partie de l’éducation, doivent avoir les leurs. Voyager pour voyager, c’est errer, être vagabond ; voyager pour s’instruire est encore un objet trop vague : l’instruction qui n’a pas un but déterminé n’est rien. Je voudrois donner au jeune homme un intérêt sensible à s’instruire, & cet intérêt bien choisi fixeroit encore la nature de l’instruction. C’est toujours la suite de la méthode que j’ai tâché de pratiquer.

Or, après s’être considéré par ses rapports physiques avec les autres êtres, par ses rapports moraux avec les autres