Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/480

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sans contrainte ; je me mets hors d’haleine, & mêlant mes soupirs tranchans à ma respiration gênée, je me sentois quelquefois prêt à suffoquer.

Les secousses de cette marche précipitée sembloient m’étourdir & me soulager. L’instinct dans les passions violentes dicte des cris, des mouvemens, des gestes, qui donnent un cours aux esprits & sont diversion à la passion : tant qu’on s’agite, on n’est qu’emporté ; le morne repos est plus à craindre, il est voisin du désespoir. Le même soir je sis de cette différence une épreuve presque risible, si tout ce qui montre la folie & la misere humaine devoit jamais exciter à rire quiconque y peut être assujetti.

Après mille tours & retours faits sans m’en être apperçu, je me trouve au milieu de la Ville entouré de carrosses à l’heure des spectacles, & dans une rue où il y en avoir uns. J’allois être écrasé dans l’embarras, si quelqu’un, me tirant par le bras, ne m’eût averti du danger : je me jette dans une porte ouverte ; c’étoit un Café. J’y suis accosté par des gens de ma connoissance ; on me parle, on m’entraîne je ne fais où. Frappé d’un bruit d’instrumens & d’un éclat de lumieres, je reviens à moi, j’ouvre les yeux, je regarde ; je me trouve dans la salle du spectacle un jour de premiere représentation, pressé par la foule, & dans l’impuissance de sortir.

Je frémis ; mais je pris mon parti. Je ne dis rien, je me tins tranquille, quelque cher que me coûtât cette apparente tranquillité. On fit beaucoup de bruit, on parloit beaucoup, on me parloit ; n’entendant rien, que pouvois-je