Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/481

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répondre ? Mais un de ceux qui m’avoient amené ayant hazard nommé ma femme, à ce nom funeste je fis un cri perçant qui fut ouÏ de toute l’assemblée & causa quelque rumeur. Je me remis promptement, & tout s’appaisa. Cependant ayant attiré par ce cri l’attention de ceux qui m’environnoient, je cherchai le moment de m’évader, & m’approchant peu-à-peu de la porte, je sortis enfin avant qu’on eût achevé :

En entrant dans la rue & retirant machinalement ma main, que j’avois tenue dans mon sein durant toute la représentation, je vis mes doigts pleins de sang, & j’en crus sentir couler sur ma poitrine. J’ouvre mon sein, je regarde, je trouve sanglant & déchiré comme le cœur qu’il enfermoit. On peut penser qu’en spectateur tranquille à ce prix, n’etoit pas fort bon juge de la Piece qu’il venoit d’entendre.

Je me hâtai de fuir, tremblant d’être encore rencontre. La nuit favorisant mes courses, je me remis à parcourir les rues, comme pour me dédommager de la contrainte que je venois d’éprouver ; je marchai plusieurs heures sans reposer un moment : enfin ne pouvant presque plus me soutenir & me trouvant près de mon quartier, je rentre chez moi, non sans un affreux battement de cœur : je demande ce que fait mon fils ; on me dit qu’il dort ; je me tais & soupire : mes gens veulent me parler ; je leur impose silence ; je me jette sur un lit, ordonnant qu’on s’aille coucher. Après quelques heures d’un repos pire que l’agitation de la veille, je me leve avant le jour, & traversant sans bruit les appartemens, j’approche de la chambre de Sophie ; la sans