Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/490

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

veille, j’examinai si peut-être je ne prenois point trop à cœur le crime d’une femme, & si ce qui me paroissoit une catastrophe de ma vie n’étoit point un événement trop commun pour devoir être pris si gravement. Il est certain, me disois-je, que par-tout où les mœurs sont en estime, les infidélités des femmes déshonorent les maris : mais il est sûr aussi que dans toutes les grandes Villes, & par-tout ou les hommes, plus corrompus, se croient plus éclairés, on tient cette opinion pour ridicule & peu sensée. L’honneur d’un homme, disent-ils, dépend-il de sa femme ? Son malheur doit-il faire sa honte, & peut-il être déshonore des vices d’autrui ? L’autre morale à beau être sévere, celle-ci paroît plus conforme à la raison.

D’ailleurs, quelque jugement qu’on portât de mes procédés, n’étois-je pas par mes principes au-dessus de l’opinion publique ? Que m’importoit ce qu’on penseroit de moi, pourvu que dans mon propre cœur je ne cessasse point d’être bon, juste, honnête ? Etoit-ce un. crime d’être miséricordieux ? Etoit-ce une lâcheté de pardonner une offense ? Sur quels devoirs allois-je donc me régler ? Avois-je si long-tems dédaigné le préjugé des hommes pour lui sacrifier enfin mon bonheur ?

Mais quand ce préjugé seroit sondé, quelle influence peut-il avoir dans un cas si différent des autres ? Quel rapport d’une infortunée au désespoir à qui le remords seul arrache l’aveu de son crime, à ces perfides qui couvrent le leur du mensonge & de la fraude, ou qui mettent l’effronterie à la place de la. franchise & se vantent de leur déshonneur ?