Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/146

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d’écouter ses penchants (1). Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti (2), il devrait bénir sans cesse

(1) Rousseau fait ici dépendre, catégoriquement, toute la vie morale de la vie sociale. Avant le contrat, dans l’état de nature, il n’y a nulle moralité, mais seulement l’instinct, l’impulsion physique, l’appétit et l’égoïsme ; — après le contrat, dans l’état civil, on trouve la moralité, la justice, le devoir, le droit et la raison. — On a très souvent objecté (voir notamment Paul Janet, ouv. cit.) que c’est au contraire la morale qui a précédé et rendu possible la société, que l’idée du juste a suscité et précédé la loi, etc., et Rousseau semble trop oublier, ici, que le contrat social suppose en effet un degré déjà élevé de raison et de moralité. Mais ce qui est juste (Cf. liv. II, ch. vi). c’est qu’avant le contrat, les notions morales n’existent qu’à l’état de sentiments vagues chez des individus isolés et que l’organisation sociale seule en fait des règles générales et des réalités efficaces.

(2) M. Izoulet, dans sa thèse latine De J.-J. Russeo... etc., a justement remarqué que cette phrase incidente permettait de comprendre comment l’auteur du Contrat social était aussi l’auteur du Discours sur l’origine de l’Inégalité, et comment il a pu être considéré tantôt comme l’apologiste, tantôt comme l’ennemi de la société. 11 a dénoncé avec force les maux d’une société fondée sur la violence, l’inégalité et le despotisme, mais il croit qu’une organisation rationnelle de la société peut assurer à l’homme liberté réelle et bonheur. Il a naturellement critiqué la mauvaise organisation de la société avant d’apercevoir et d’exposer la bonne. La contradiction n’est donc pas aussi forte qu’on l’a dit entre les deux parties de l’œuvre de Rousseau. (Voir Introduction, p. 18). Il faut avouer pourtant qu’il n’a guère pris de précautions pour éviter ce reproche.