Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/19

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s’est faite cette évolution qu’il retraçait dans le Discours : ce n’est donc pas sur des événements, réels ou hypothétiques, qu’il compte s’appuyer.

Ce n’est pas davantage sur l’histoire des doctrines, des lois ou des institutions : il ne traite pas du droit positif. Rousseau saisit chaque occasion de déclarer que, s’il se rencontre parfois avec Montesquieu dans l’étude des mêmes questions, pourtant le Contrat social diffère radicalement, par l’objet et par la méthode, de l’Esprit des Lois : Montesquieu, dit le précepteur d’Émile, « n’eut garde de traiter des principes du droit politique ; il se contenta de traiter du droit positif des gouvernements établis ; et rien au monde n’est plus différent que ces deux études[1]) ».

Le problème posé dans le Contrat social est aussi abstrait, théorique et général qu’il est possible : il s’agit de déterminer à quelles conditions une société peut exister légitimement, c’est-à dire en respectant le droit naturel et la raison. L’homme est « né libre » ; la société lui impose des contraintes multiples, « des fers » : y a-t-il quelque principe rationnel qui puisse justifier cet état, enlever à cet esclavage ce qu’il a de déshonorant et concilier avec ce qu’on se doit à soi-même ce qu’on doit à la société ? Il s’agit donc uniquement de justifier en droit absolu et devant la raison la possibilité de l’État.

C’est en effet par la morale que Rousseau a été amené à la politique. C’est en constatant les maux qu’entraîne la vie sociale qu’il en est venu à rechercher si ces maux étaient nécessaires, ou si au contraire il ne pourrait pas exister une organisation politique conforme au droit et à la raison. Le Contrat est ainsi le complément logique des deux Discours et de la Lettre à d’Alembert : si la société ne corrompait pas si gravement la nature, il serait moins nécessaire de la réformer. « J’avais vu, dit

  1. Émile, V, p. 472.