Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/198

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l88 DU CONTRAT SOCIAL,

A ces conditions pour instituer un peuple, il en faut ajouter une qui ne peut suppléer à nulle autre, mais sans laquelle elles sont toutes inutiles : c'est qu'on jouisse de l'abondance et de la paix ; car le temps où s'ordonne un Etat est, comme celui où se forme un bataillon, l'instant où le corps est le moins capable de résistance et le plus facile à détruire. On résisterait mieux dans un désordre absolu que dans un moment de fermentation, où chacun s'occupe de son rang et non du péril. Qu'une guerre, une famine, une sédition survienne en ce temps de crise, l'État est infailliblement renversé.

Ce n'est pas qu'il n'y ait beaucoup de gouverne- ments établis durant ces orages ; mais alors ce sont ces gouvernements mêmes qui détruisent l'Etat (*). Les usurpateurs amènent ou choisissent toujours ces temps de trouble pour faire passer, à la faveur de l'effroi public, des lois destructives, que le peuple n'adopterait jamais de sang-froid. Le choix du moment de l'institution est un des caractères les plus sûrs par lesquels on peut distinguer l'œuvre du législateur d'avec celle du tyran.

Quel peuple est donc propre à la législation ? Celui qui, se trouvant déjà lié par quelque union d'origine, d'intérêt ou de convention , n'a point encore porté le vrai joug des lois ; celui qui n'a ni coutumes, ni superstitions bien enracinées, celui qui ne craint pas d'être accablé par une invasion subite ; qui, sans entrer dans les querelles de ses voisins, peut résister seul à chacun d'eux, ou s'aider

( l ) L'État*légitime ou républicain, où la volonté générale est souveraine.

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