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326 DU CONTRAT SOCIAL

Je dis même que cette société supposée ne serait, avec toute sa perfection, ni la plus forte ni la plus durable : à force d'être parfaite, elle manquerait de liaison (*) ; son vice destructeur serait dans sa perfection même.

Chacun remplirait son devoir ; le peuple serait soumis aux lois, les chefs seraient justes et modérés, les magistrats intègres, incorruptibles ; les soldats mépriseraient la mort ; il n'y aurait ni vanité ni luxe : tout cela est fort bien ; mais voyons plus loin.

Le christianisme est une religion toute spiri- tuelle, occupée uniquement des choses du ciel : la patrie du chrétien n'est pas de ce monde. Il fait son devoir, il est vrai ; mais il le fait avec une profonde indifférence sur le bon ou mauvais succès de ses soins. Pourvu qu'il n'ait rien à se reprocher, peu lui importe que tout* aille bien ou mal ici-bas. Si l'Etat est florissant, à peine ose-t-il jouir de la féli- cité publique ; il craint de s'enorgueillir de la gloire de son pays ; si l'État dépérit, il bénit la main de Dieu qui s'appesantit sur son peuple.

Pour que la société fût paisible et que l'harmonie se maintînt, il faudrait que tous les citoyens, sans exception, fussent également bons chrétiens ; mais si malheureusement il s'y trouve un seul ambitieux, un seul hypocrite, un Catilina, par exemple, un Gromwell, celui-là très certainement aura bon mar- ché de ses pieux compatriotes. La charité chrétienne ne permet pas aisément de penser mal de son pro- chain. Dès qu'il aura trouvé par quelque ruse l'art

(*) Il n'y aurait plus d'intérêt commun entre des indivi- dus qui renonceraient à tout intérêt particulier.

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