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MADEMOISELLE D’AMPURIAS

Les voyageurs n’atterrissaient que le soir, pour prendre un peu de repos.

Pierre et Joseph avaient bien hâte d’arriver à bon port, pour deux raisons : Ils avaient à bord une charge précieuse en la personne de la belle Espagnole, et de la richesse extraite du flanc de la montagne la Pipe.

Pour rompre la monotonie de la route et créer une diversion dans leurs entretiens, Dona Maria décida de faire, à Joseph et à Pierre, le récit des terribles épreuves qu’elle avait traversées.

Ce fut d’une voix émue qu’elle commença, une après-midi de mai, l’histoire que nous allons esquisser.

« Mon père, dit-elle, avait nom le vicomte d’Ampurias et possédait le château et les terres dépendant de ce titre. Ce domaine est situé au nord-est de l’Espagne, près de la frontière française.

« Nous demeurions à une lieue et demie du rivage de la mer ; c’est ce qui explique peut-être l’amour que mon père avait depuis son enfance pour la vie de marin.

« Jeune homme, il entrait dans la marine royale. C’était réellement la vie qui lui convenait, s’il faut en juger par les promotions brillantes qu’il reçut à la suite d’engagements, de batailles ou de combats navals.

« Or, un matin — mon père avait alors trente ans, je crois, — il revenait d’Iviza, en l’Île du même nom, et croisait sur les côtes de la province d’Alicante, lorsqu’il vit, à l’horizon une voile fuyant ; il la reconnut à l’aide de sa lunette pour un corsaire algérien. Ce gaillard lui semblait s’esquiver après avoir fait un mauvais coup et mon père entra aussitôt en chasse. Quoique le bandit arabe eût un fin voilier, la frégate La Murcia, commandée par le vicomte, marchait bien aussi et ne tarda pas à montrer sa supériorité sur l’ennemi, qui fut rejoint et forcé d’accepter le combat. La victoire, après une lutte opiniâtre, se décida en faveur des couleurs espagnoles.

En visitant la prise qu’il venait de faire, mon père eut le bonheur de rendre la liberté à plusieurs de ses compatriotes ; entr’autres, à la belle et riche senorita de Villajoyosa, faite captive, la nuit précédente, en son castel sur le bord de la mer, à l’embouchure de la Seco, dans la province d’Alicante.

« Que vous dirai je de plus, senors ?

« Le vicomte aima et épousa cette jeune personne qui devint ma mère.

« Mlle de Villajoyosa était orpheline et relevait de tutelle. Pour fêter sa majorité, elle avait convié à son château, les seigneurs et les belles Espagnoles des entours. C’est sur ces entrefaites que les pirates redoutables d’Alger descendirent sur ce point du littoral. Ils n’eurent pas tout à fait beau jeu, quoiqu’ils dussent sortir vainqueurs de cette affaire. Nos gentilshommes s’apprêtant à s’amuser ne portaient à leurs côtés que des épées de parade, et furent obligés de plier sous le choc d’un ennemi supérieur en nombre. Les Arabes firent alors une riche moisson ; mais leur triomphe devait être éphémère.

« La frégate du roi, La Murcia, survint à temps pour les châtier.