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conséquent de se porter au sommet, &c.

Ne seroit-il donc pas possible d’obtenir du châtaignier, ce que l’on obtient des pins, sapins & chênes, & de se procurer par-là ces châtaigniers de portée immense que l’on trouve encore dans la charpente des anciennes églises ?

En suivant la première ou la troisième méthode des semis indiqués dans le Chapitre précédent, on aura la facilité de faire croître les arbres près à près, & de les éclaircir suivant le besoin & en proportion des besoins ; il suffiroit seulement d’élaguer les branches inférieures à mesure que la tige s’élève, & que les supérieures gagnent de l’étendue. Je crois même que cette opération seroit inutile, puisque les pins, sapins & chênes savent parfaitement se dépouiller de ces branches, sans le secours de la main de l’homme. Elles meurent, elles tombent, il n’en reste plus sur le tronc le moindre vestige, l’écorce recouvre la plaie, tandis que le recouvrement est plus pénible & plus laborieux, lorsque ces branches ont été enlevées par le fer.

Pour se procurer de telles forêts, il faudroit choisir les châtaignes à semer sur les espèces dont les arbres s’élèvent naturellement à la plus grande hauteur, & ne pas les greffer. Car la greffe empêche & interrompt la vigoureuse poussée de la tige. Il ne s’agit pas ici de se procurer une récolte de châtaignes, mais des arbres de belle venue, & à quilles droites & proportionnées.

D’après ces idées d’analogie & de comparaison, je trouve dans l’avidité de l’homme, la raison pour laquelle il n’existe plus de châtaigniers à tiges élevées, comme autrefois, & de la plus grande portée. Il a voulu avoir une récolte en châtaignes, & il a négligé d’élever cet arbre en arbre forestier. Je prie ceux entre les mains de qui cet Ouvrage parviendra, de planter une petite forêt de châtaigniers à l’instar de celles de chênes, pins, sapins, hêtres, &c. Cette expérience tient à un objet trop important pour que de riches particuliers ne fassent pas un léger sacrifice. Le tronc de cet arbre acquiert seulement dans quatre-vingts à cent ans, son état de perfection ; cette lenteur détournera peut-être l’homme avide de cette entreprise : mais à quel état serions-nous actuellement réduits, si nos pères avoient pensé ainsi ? Il faudroit donc renoncer à toute idée de plantation. D’ailleurs, comme on substitue aujourd’hui une terre, une maison, &c., on substitueroit la forêt de châtaigniers, avec la condition & défense expresse de l’abattre avant une certaine époque. De cette manière, celui qui l’auroit plantée ne seroit pas dans le cas de craindre que l’avidité de ses successeurs privât le public du résultat d’un essai de la plus grande importance. Nous avons eu la fureur de défricher nos bois, nos forêts ; & la France sera bientôt réduite à ne plus brûler que du charbon de terre, & à payer des sommes immenses les bois de charpente. Un jour viendra que la voix impérieuse des besoins fera taire celle de l’avidité mal entendue, & de la jouissance momentanée !