Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/195

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l’autre de pigeon, de poule &c., mêlé à l’urine humaine ; celui-ci a fait un mêlange de tous ces fumiers pour en avoir le jus ; & celui-là, afin de renchérir sur tous les autres, y a ajouté de l’eau-de-vie, du sel marin ou de cuisine, du nitre, &c. L’homme qui ignore la nature des principes constituans des corps qu’il emploie, qui agit à l’aveugle, part d’après de faux raisonnemens, son esprit se monte, son imagination s’exhalte ; il fait des expériences, il sème son grain à dix ou douze pouces l’un de l’autre dans une planche de jardin : les arrosemens, les légers labours ne sont pas épargnés au besoin, la plante germe à merveille, talle beaucoup, le grain est magnifique ; on crie au miracle, on se persuade que ce prétendu miracle est opéré par la vertu de la liqueur prolifique ; il faut enrichir le public de cette belle découverte, les papiers publics l’annoncent : enfin les gens crédules sont trompés, parce qu’on a eu grand soin de ne pas leur apprendre que l’expérience a été faite dans un jardin. Que conclure de tout ceci ? Que l’agriculture a ses charlatans comme la médecine a les siens.

Labourez vos terres dans la saison convenable, & profondément ; n’épargnez pas les engrais, alternez (voyez ce mot) si les engrais ne sont pas abondans, travaillez à créer la terre végétale ou humus ; amendez (voyez ce mot) vos champs : voilà la meilleure liqueur prolifique.

Comment un homme de bon sens peut-il se persuader qu’un grain pénétré de sel ou d’une eau imprégnée de sel, quoiqu’il soit d’une qualité médiocre, produira plus & germera mieux qu’un bon grain tel que la nature le donne ? Ne sait-on pas que la surabondance de sel dessèche, racornit & corrode les chairs ? L’effet est le même sur le végétal, sur-tout si on sème par un temps sec. La terre attire l’humidité du grain, & le sel reste dans son intérieur. Si la pluie survient aussitôt après la semaille, le sel est dissous, entraîné, parce qu’il est en trop petite quantité relativement à l’espace du terrein & à l’abondance de l’eau pluviale. Voyez les belles expériences de M. l’abbé Poncelet, sur le développement du germe & de toute la plante, rapportées au mot Blé, & vous conclurez que ces préparations, même en leur supposant quelques vertus, n’ont plus aucune action sur la plante dès que le germe s’est métamorphosé en racines, époque à laquelle les deux lobes qui l’enveloppoient ne lui sont plus d’aucune utilité. Est-ce pour mieux faire germer le grain, pour qu’il se développe plus promptement ? L’expérience le décidera. Prenez un grain, passez-le par la liqueur prolifique ; prenez-en un autre en tout semblable, qui ait resté dans l’eau simple, & qui soit autant humecté que le premier ; semez-les tous les deux dans la même terre & au même moment, & vous verrez combien les raisonnemens sont peu concluans contre l’expérience. Suivez la végétation de ces grains jusqu’à leur terme, & vous conclurez que la nature conduit chaque chose à son terme, & qu’elle n’a pas besoin de pareils secours. Columelle dit : que des gens doublent d’une peau d’hyenne un semoir, & qu’ils y laissent séjourner le grain quelque temps avant de le semer, afin qu’il vienne à