Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/410

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pas avec M. de Buffon, que le feu central diminue, & par conséquent, que peu à peu la terre sera à son tour une masse glacée, telle que la lune l’est aujourd’hui : comme je ne puis me persuader l’existence de ce feu central, je vais rechercher des causes moins éloignées, & qui me paroissent suffire à la démonstration du changement des climats. La brillante région des hypothèses est trop au-dessus de ma portée ; il faut des faits plus rapprochés de l’entendement d’un simple cultivateur.

La chaleur ou le froid des climats augmentent ou diminuent suivant les circonstances physiques qui opèrent le changement : c’est ce qu’il faut prouver.

Les physiciens & les naturalises conviennent que les montagnes s’abaissent & que les plaines s’élèvent insensiblement : cette assertion seroit la preuve la plus complette de ce que j’avance, si des points de fait n’étoient pas plus concluans.

Du temps des romains l’hiver étoit plus âpre & plus rude en Italie qu’il ne l’est aujourd’hui ; il suffit d’ouvrir les ouvrages de Pline & de Virgile pour s’en convaincre ; cependant cette heureuse contrée étoit parfaitement cultivée du temps des romains, & on sait que tout pays bien labouré est plus chaud que celui qui ne l’est pas. Plus la surface de la terre est unie, moins elle absorbe de chaleur, elle la renvoie au contraire ; aussi dans les pays chauds, la surface de la terre est, pendant l’été, plus chaude que celle de l’eau ; & pendant l’hiver des pays tempérés, la surface de l’eau est moins froide que celle de la terre.

Ovide relégué sur les bords de l’Euxin, dit que cette mer gèle chaque hiver, sans que la pluie ni le soleil puissent en fondre la glace, & même qu’en plusieurs endroits elle y est permanente pendant deux années de suite. Virgile tient le même langage en parlant des bords du Danube. Pline le jeune, en décrivant sa maison de campagne, située en Toscane, dit que le ciel en est froid & glacial pendant l’hiver, ce qui ne permet pas la culture des myrtes, des oliviers, &c. voilà à peu près le climat de Paris. Horace & Juvénal parlent des neiges qui couvroient les rues de Rome, & des glaces du Tibre : cependant il est très-rare de voir de la neige à Rome, & les rivières glacées. Les campagnes de Toscane, de la Romanie, &c. sont actuellement couvertes d’oliviers, de myrtes. On éprouve donc aujourd’hui dans toute l’Italie, une masse de chaleur plus forte & plus soutenue qu’autrefois. Voilà donc un climat entièrement changé ; la raison en est simple. Pour expliquer une métamorphose aussi frappante, il suffit de franchir les bornes étroites de l’Italie, de traverser la Hongrie, la Pologne, l’Allemagne, qui sont au nord de Rome, & on verra que ces pays immenses étoient peu peuplés du temps des romains, qu’ils étoient peu cultivés, que d’énormes & antiques forêts couvroient presque toute la superficie de la terre ; que les lacs étoient multipliés, que des rivières sans lits se répandoient sur les plaines ; enfin, que les rayons du soleil pénétroient rarement jusques sur terre, & ne pouvoient en échauffer la superficie : il s’élevoit de ces contrées incultes des vents du nord perçans, qui se répandoient comme un torrent en