Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/708

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continués de sa mère : aussi l’éloigne-t-elle de ses côtés dans ce temps. L’amour, ce besoin exigeant, cette loi aveugle & impérieuse chez les animaux, cette passion si douce, ce sentiment si flatteur chez les hommes quand l’honnêteté en est la base, cet attrait puissant que le plaisir embellit, & que le remords ne devrait jamais suivre, est pour les cerfs un transport, une fureur plutôt qu’une jouissance. L’excès du désir change leur caractère, & cet animal, naturellement doux & tranquille, devient fier, ardent, impétueux, colère, furieux même. Sa voix s’enfle, il raye plus fortement, il frappe de la tête rudement contre les arbres. Dans cet état de fureur, il est toujours dangereux ; son audace lui cache tout péril ; il attaque de lui-même, homme, chien, loup ; il court de pays en pays, jusqu’à ce qu’il trouve des biches. En a-t-il rencontré quelqu’une ? avant de satisfaire ses désirs, il faut encore les poursuivre, les contraindre, les assujettir, s’en assurer la possession par mille combats sanglans contre tous les concurrens qui se présentent. L’amour anime leur courage : c’est pour une maîtresse qu’ils combattent, ils se précipitent l’un sur l’autre, ils se donnent des coups de tête & d’andouillers si terribles & si forts, que souvent ils se blessent à mort. Le vainqueur, qui est ordinairement le plus vieux cerf, jouit de sa conquête, lorsque tous ses rivaux sont dissipés ; mais il arrive souvent que, tandis que les vieux combattent, les jeunes, qui seroient obligés d’attendre qu’ils aient quitté la biche pour avoir leur tour, sautent adroitement sur elle, & après avoir joui à la hâte, s’échappent & fuient promptement. Cette fureur ou effervescence amoureuse dure environ trois semaines pour chaque cerf. Pendant tout ce temps, ils ne mangent que très-peu, ne dorment ni ne reposent ; ils ne font que courir, combattre & jouir : aussi sortent-ils de-là si défaits, si fatigués & si maigres, qu’il leur faut du temps pour reprendre leur force.

La biche met bas son faon en avril ou mai : il vit à peu près trente-cinq à quarante ans, malgré tout ce qu’on a débité de fabuleux sur la durée de sa vie. À six mois, le bois commence à paraître sous la forme de deux tubercules que l’on appelle bosses ou bossettes, & alors le faon prend le nom d’hère ; les bossettes croissent & deviennent cylindriques ou couronnes. Le premier bois que porte le cerf ne se forme qu’après sa première année ; il n’a qu’une simple tige sans branche ; il prend le nom de dague, comme l’animal celui de daguet. À trois ans, au lieu de dagues, le bois pousse des branches que l’on appelle cors ou andouillers : alors l’animal est appelé jeune cerf, nom qui lui reste jusqu’à sa sixième année, où il prend celui de cerf de dix cors, quoiqu’il en ait souvent douze à quatorze. Dans les années suivantes, on le nomme grand vieux cerf. Le bois se détache de la tête du cerf naturellement, dans le temps de la mue qui arrive au printemps. Souvent il accélère cette chute par un petit effort qu’il fait en s’accrochant à quelque branche. Rarement les deux côtés tombent-ils à la fois, & souvent il y a un jour ou deux d’intervalle entre la chute de chacun des côtés de la tête : la tête n’est totalement refaite que vers la fin de juin. Ce