Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/710

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en meurt à peine un, sans qu’on puisse raisonnablement en accuser l’inoculation, puisqu’il est démontré par les faits les mieux vérifiés, qu’elle n’expose point la vie des citoyens : qui pourroit donc nous empêcher de profiter d’un secours aussi utile ?

On a prétendu que l’insertion ne garantissoit point de la petite vérole, & qu’on avoit vu des personnes en être attaquées après avoir été inoculées. On pourroit leur répondre, que probablement l’opération avoit été mal faite, que peut-être il n’en étoit résulté aucun bouton. On pourroit ajouter, qu’en se rappelant très-bien que telle personne avoit été inoculée, on avoit oublié, où qu’on feignoit d’oublier que l’inoculation n’avoit point pris, qu’il ne s’étoit fait aucune éruption. Il n’est pas surprenant alors que, par des circonstances dépendantes du tempérament, de la constitution, de la disposition du sujet ; circonstances qui trompent & peuvent tromper la sagacité du plus habile médecin, l’inoculation ayant été nulle, il n’est pas surprenant, disons nous, que quelques années après, ces mêmes personnes aient contracté par communication la petite vérole naturelle.

Mais, supposons que l’inoculation ait rempli sur un sujet le but qu’on se propose, & qu’on ait compté un nombre de boutons assez considérable pour assurer qu’elle a réussi, & que cette personne vienne par la suite à avoir la petite vérole naturelle ; que doit-on en conclure ? que l’inoculation est une méthode inutile ? cette conséquence précipitée seroit vicieuse.

On sait qu’il n’y a guère qu’un quart du genre humain qui soit exempt de la petite vérole, ou qui meure sans l’avoir eue. Les trois quarts sont donc condamnés à en être attaqués. Quand on l’a eue, elle ne revient plus : voilà ce que l’expérience apprend. Cependant il peut se faire, mais rarement, qu’on s’y trouve une seconde fois exposé ; ce qui arrive peut-être à un sur mille. Si la nature ne sauroit empêcher cette récidive extrêmement rare de la petite vérole, pourquoi vouloir exiger davantage de l’art ? En cette occasion, il marche avec elle sur la même ligne, & d’un pas égal : il n’est réduit à manquer ici, que dans le cas où elle manque elle-même ; mais il l’emporte sur elle lorsqu’il exécute l’inoculation.

La petite vérole naturelle moissonne ordinairement le septième de ceux qu’elle frappe. L’artificielle, qui d’abord avoit considérablement diminué cette mortalité, puisque sur cent qu’on inoculait, on en conservoit quatre-vingt-dix-neuf, un seul périssoit, tandis que la naturelle en emportoit quatorze ; l’artificielle, dis-je, a été perfectionnée au point que sur mille elle en perd à peine un, au lieu que la naturelle continue de causer le même ravage, & en tue cent quarante-trois sur mille ; il est constant que si l’on avoit inoculé ces cent quarante-trois personnes, mortes de la petite vérole naturelle, on en auroit sauvé cent quarante-une.

Rozen a observé qu’en Suède la petite vérole enlève toutes les années la douzième partie des enfans, & toujours plus de filles que de garçons, au lieu que les autres maladies font périr plus de mâles.

Peut-on après cela refuser d’avoir recours à une méthode qui arrache