Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/240

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que d’une autre ? De recherche en recherche il en arriverait à ne plus pouvoir s’arrêter devant le pilier d’une porte sans se souvenir ou sans s’informer de quelque détail digne d’être retenu touchant les montagnes d’Italie, de Grèce, d’Afrique ou d’Espagne.


Mais, du moment que les imitations du marbre sont admises, cette source d’instruction est tarie ; personne ne prendra plus la peine de se livrer à un travail de vérification : les questions, les conclusions que soulevaient les pierres colorées que nous savions naturelles, s’arrêtent. Nous n’avons pas le temps de palper et de décider, après une minutieuse investigation, si tel pilier est en stuc ou en pierre : le vaste champ d’instruction que la nature ouvrait devant nous, au temps de notre enfance, se ferme irrévocablement, et le peu que nous avait appris notre examen des marbres est troublé, déformé par les maladroites imitations que nous avons, chaque jour, devant les yeux.


On objectera qu’il est trop dispendieux d’employer de véritables marbres dans l’architecture courante. Est-ce donc plus coûteux que les grandes fenêtres aux immenses vitres, décorées de moulures en stuc compliquées et tant d’autres dépenses superflues de la construction moderne ; que la fréquente peinture exigée par des piliers noircis qu’un peu d'eau suffirait à rafraîchir s’ils étaient en véritable pierre ? Même en admettant qu’il en soit ainsi, le prix des marbres, s’il restreint leur usage dans certaines localités, est un des intérêts de leur histoire. Là où on ne les trouve pas, la nature les a remplacés par d’autres matériaux ; l’argile pour les briques, ou la forêt fournissant les poutres, apportent certains avantages locaux et font travailler l’intelligence humaine en