Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/254

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seulement sont puissants et bons comme Joseph à qui toutes les nations vinrent acheter du grain ; chaque homme doit trouver la mesure qui lui convient après que, dans sa jeunesse, d’autres l’auront trouvée pour lui. Le premier moment où nous apprenons quelque chose de nouveau nous remplit d’une joie et d’un étonnement pour lesquels était indispensable notre ignorance première, et nous nous sentons heureux de continuer à apprendre, bien que la science, une fois connue, cesse de nous apporter le même plaisir. Elle peut nous être utile pour acquérir de nouvelles connaissances, mais dès qu’elle nous devient familière, elle n’existe plus pour nous : elle tue la force de notre imagination et éteint notre énergie première. Elle est comme la charge du pèlerin ou les armes du soldat, un lourd fardeau, et le mal naissant causé par la Renaissance vint de ce qu’elle perdit toute idée de mesure et qu’elle considéra la science comme le seul et unique bien, sans s’inquiéter de savoir si elle vivifiait l’homme ou si elle le paralysait et si, semblable à la cotte de mailles du croisé, elle ne le blessait pas souvent en suivant les replis de son corps.

La plupart des hommes sentent cela sans s’en rendre compte ; ils regardent les jours de leur enfance comme le temps où ils étaient le plus heureux par leurs surprises constantes, leur simplicité et leur plus ardente imagination. On l’a dit cent fois : ce qui distingue un homme de génie d’un autre homme, c’est qu’il reste enfant sous certains aspects ; perpétuellement étonné, plus conscient de son ignorance que du peu qu’il a appris (dont il sent pourtant le pouvoir), il a en lui une éternelle source d’admiration, de jouissance et de force créatrice.


Il y eut de notables différences de tendances entre les diverses branches de la science, leur puissance d’orgueil