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ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

Tost i sauroit grant conseil mestre.
La sainte Dame haute et digne
Tant est piteuse et si bénigne[1],
Et tant est douce et tant est sade
Que ne dégiete nui malade.
A son saint temple m’en irai,
Toute ma vie i gémirai,
Et nuit et jor d’entier courage
Li prierai devant s’ymage,
En soupirant, à nuz genoz,
Qu’à son chier Fil, qui tant est doz,
Me face ma pès, et m’acorde
Par sa très grant miséricorde.
Je sui à lui si descordez
Que n’i puis estre racordez,
Ne rapesiez, lors par lui seule…
Diex ! qu’as-tu dit, desloiaus geule[2] ?
Dieu ! qu’as-tu dit, gole pulante !
Dieux ! qu’as-tu dit, gole sanglante !
Di-moi comment l’apeleras,
Di-moi comment la nomeras,
Di-moi comment seras tant ose
Qu’oses nomer la seinte rose
Qui tant est fresche, bele et clère
Que Diex en volt fère sa mère ?
Di-moi, di-moi, di, forvoiée,
Quant tantes foiz l’as renoiée
Por le déable et déguerpie,
Comment seras-tu tant hardie
Que nomer oses son saint non,
Qui tant par est de grant renon ?
Du feu d’enfer, lasse ! ardras
Si tost com tu la nomeras !
Ha, las ! péchierres tant ai fet
Et tant péchié et tant mefet
Que cherrai en désespérance !…
Las ! qu’ai-ge dit ! ce fu enfance,
Car assez puet Diex de lasus
Plus pardonner que péchier nus.
En désespoir jà ne cherrai ;

  1. Ce vers n’est pas dans le Ms. 1672.
  2. Ce vers manque au Ms. 1672.