Dame, ainçois que la mort, qui partout mors, me morde,
Au Roi de paradis me r’apaie et acorde.
Tant a esté ma vie desmesurée et gloute,
Regart[1] l’eure que terre pour mes péchiez m’engloute.
Haute Dame piteuse[2] où m’espérance est toute,
Les iex dou cuer m’esclaire ; grant pieçà ne vi goute,
Anemis en ses las m’a tenu mult grant pièce.
Dame, par ta douçour derrons-les et depièce ;
Ne daigniez consentir jamais tant me meschièce
K’en nule vilonnie qui vous desplaise enchièce.
Douce Dame esmerée[3], qui fenestre es et porte
De gloire pardurable[4], si com raisons l’aporte,
Ce chaitif[5] péchéour qui si se desconforte
Par ta sainte douçour resléece et conforte.
Virge seur toutes autres servie[6] et honnorée,
Dame qui es d’archangres et d’angre encensée[7],
Se pitié n’as de m’âme, sans longue demorée,
En enfer sera toute des sathans[8] dévorée.
Pucele qui sacraires fus dou Saint-Esperite,
Se ta très grans douçours vers ton Fill ne m’aquite[9],
Toute enportera m’âme, ne li ert contredite,
Dyables, qui l’a jà en ses tables escrite.
Si sui viex, si sui frailes, si sui péchierres, Dame ;
Plus péchierres de moi ne nasqui ainc de fame.
Dame de paradis, se pitié n’as de m’âme,
En enfer iert dampnée en pardurable flame.
Royne glorieuse, de son escrit m’efface !
Jointes mains le te pri et à moillie face ;
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NOTES