Page:Ryner - Jusqu’à l’âme, 1925.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui j’ai toujours vu tant de mépris pour les préjugés et les vaines opinions… Nous quitterons ce pays.

Louise. — Je dois mourir, pour moi-même, par fierté. Mais il faut surtout que je meure pour celui qui ne doit plus, qui ne peut plus venir. Des mères se sacrifient tous les jours pour écarter de l’enfant un mal particulier et peu durable. Et moi, j’hésiterais lâchement quand il faut le sauver de toute une existence malheureuse !… Non, Lucien, je n’ai plus le droit de vivre. Mon geste de défense, en blessant l’autre, m’a tuée. Je meurs, frappée non par une brutalité matérielle, mais par une brutalité logique… Lucien, veux-tu donner le dernier baiser à celle qui s’en va ? Veux-tu lui pardonner ?

Lucien. — Oh ! Louise… Tu as pu songer à partir sans moi ! Nous avons noué pour toujours nos destinées et tu voudrais les séparer ! C’est mal, cela.

Louise. — Je t’aime, Lucien. Reste, je t’en prie, pour que je me survive en une tendresse… (Lucien secoue la tête.) Tu as un fils, mon ami, pour qui tu dois vivre.

Lucien. — Louise, je t’aime. Depuis tant d’années, tu es ma joie, ma raison de vivre. Toi partie, où prendrais-je la force de rester ? Puisque la mort te semble la seule issue, mourons ensemble.




Scène VII




LES MÊMES, ROBERT
(La nuit commence)

Robert entre aux derniers mots de Lucien. Il entend. Il a un frémissement. Il se calme et il dit, s’adressant à Lucien. — Je vous apporte une bonne nouvelle. Le médecin répond de sa vie.

Louise. — Ah ! du moins, je n’aurai pas tué…

Robert. — Il vous serait bien pénible d’avoir tué ?

Louise. — Oh ! Robert…

Lucien. — Robert, pourquoi prononces-tu d affreuses paroles dont tu sens toi-même l’injustice ?

Robert, à Louise. — Madame, vous êtes toujours bien prompte à chercher des solutions dans la mort.