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JUSQU’À L’ÂME

Louise, méprisante. — Vous nous écoutiez, Robert.

Robert. — Je suis entré comme mon père disait : « Mourons ensemble. » C’est tout ce que j’ai entendu. Mais il n’est pas difficile de deviner que la première pensée vient de vous.

Louise. — Eh bien ?

Robert. — Comment voulez-vous que je croie sincère votre joie de n’avoir pas tué une personne, au moment où vous vous préparez à en tuer… (Le geste de Robert désigne son père, puis le ventre de Louise. Ce dernier mouvement doit être clair, sans tomber pourtant dans une précision ridicule. La première partie du geste a été faite en prononçant les derniers mots. La seconde a lieu pendant un silence, d’ailleurs très court. Robert détache énergiquement le mot suivant.) trois ?

Louise, commence un geste instinctif vers son ventre, geste à peine ébauché. Elle relève la main pour dire avec quelque hauteur. — Il y a une différence entre un suicide et un meurtre.

Lucien. — Tu ne vois donc pas, Robert, toute l’horreur de notre situation ! D’un instant à l’autre, on peut arrêter ma pauvre Louise. Et le scandale !… Et cet enfant à qui il ne faut point permettre de venir dans le malheur… Tu es un homme, mon fils, et l’idée de la mort ne doit point te paraître si épouvantable…

Robert. — Ce n’est pas l’idée de la mort qui m’épouvante : c’est l’idée du suicide.

Louise. — Pourquoi ?… Le suicide est la plus belle mort, c’est la mort libre.

Lucien. — Non, Louise, tu disais mieux tout à l’heure. Nous ne sommes pas responsables de ce qui arrive. Nous mourons, tués par une fatalité logique.

Robert, gravement. — Vous ne devez pas mourir.

Lucien. — Pourquoi ?

Robert. — Pourquoi ?… Je ne sais pas… je ne sais pas eneore… Il me semble que je vais savoir… Mais je suis sûr que vous ne devez pas mourir.

(Il fait nuit noire.)

Lucien. — Que devons-nous faire ?

Robert. — Je ne sais pas ce que vous devez faire. La conscience dit rarement : « Fais ceci. » Le plus souvent, elle arrête au bord des actions. La conscience, c’est quelqu’un qui dit : « Non. » Il faut se