Page:Ryner - Jusqu’à l’âme, 1925.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

détourner de ce qu’elle défend et lui poser d’autres questions jusqu’à ce qu’elle cesse de dire : « Non. »

Louise. — C’est parce qu’elle répond « Non » à toutes les questions sur ma vie que je dois mourir. Puis-je me laisser arrêter ? Non. Puis-je subir la générosité de celle à qui j’ai fait du mal ? Non…

Robert. — Je crois que vous confondez conscience et orgueil.

Louise. — … Puis-je laisser venir un enfant qui n’aura point de père ? Non.

Robert. — Quand la conscience répond « Non » à toutes nos questions, c’est sans doute qui n’y a rien à faire pour le moment ; que nous devons, avec la prudence de ne pas remuer, attendre la chute prochaine de la foudre.

Louise. — Quelle philosophie lâche !

Robert. — Non, non… Nous ne savons pas tout ce que sait la vie. Nous ignorons presque toutes les données du moindre problème. Quand nous ne trouvons pas la solution, attendons que… Dieu… les Forces… je ne sais pas… ce qui tient toutes les données… apporte la réponse.

Louise. — Attendre que le nœud gordien se dénoue de lui-même !… Il vaut mieux le trancher. La résolution est une vertu, Robert.

Robert. — Se tuer, ce n’est pas de la résolution. C’est de l’impatience, c’est de l’affolement.

Louise. — Non, quand notre mort empêche des malheurs.

Robert, vivement. — Le suicide n’empêche jamais rien.

Louise. — Que dis-tu, mon fils ?

Robert, lentement. — « Le suicide n’empêche jamais rien. » J’ai dit sans bien savoir. Mais maintenant les mots que, dans l’obscurité, mon tâtonnement a rencontrés font de la lumière… Attendez, attendez. Il me semble que je vois… « Le suicide n’empêche jamais rien. » Les destins sont des obstinés. (À partir de cette phrase, Louise montre une émotion inquiète et grandissante.) Ils exigent que nous fassions notre chemin jusqu’au bout. Si nous nous dérobons, la prochaine existence nous ramène sur le même obstacle. Oh ! n’empêchons pas les problèmes de se résoudre : on nous les poserait de nouveau.

Louise. — Quelles paroles étranges ! Je sens remonter en moi comme une ancienne angoisse.

Robert. — L’angoisse, l’angoisse qui nous étreint ? Non, elle n’est pas nouvelle… Ô mon père, vous qui êtes un peu ma mère, vous nous