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JUSQU’À L’ÂME

Blanche. — Oui, au commencement… pas longtemps… Il m’aimait mal… il me trouvait jolie… rien de plus… Il n’avait pas de tendresse. Je souffrais… ça lui était égal.

Robert, s’asseyant. — Vous souffriez… de quoi ?

Blanche. — Eh ! on souffre toujours. La vie est mal faite. Il vous arrive tout le temps des choses ennuyeuses… Je ne pouvais pas lui en parler. Au lieu de me consoler, il se moquait de moi.

Robert. — Mais votre cœur ne peut pas être tout à fait mort ? Vous avez encore quelque affection ?

Blanche. — Qui pourrais-je aimer ? Je n’ai personne.

Robert. — Personne ?… N’aviez-vous pas un…

Blanche, s’agitant. — Ah ! que je suis mal !

(Robert arrange les oreillers. Blanche se tient presque assise.)

Robert. — N’aviez-vous pas un fils ?

Blanche. — Oui. Il avait un an. On me l’a enlevé. Ils étaient trop occupés l’un de l’autre pour bien soigner un enfant. Un enfant, il faut être toujours après lui… Le pauvre petit, il doit être mort depuis longtemps.

Robert. — Vous l’aimiez beaucoup ?

Blanche. — Je l’aimais… comme on peut aimer un enfant d’un an… On aime toujours ses enfants, on n’a pas le droit de ne pas les aimer… Mais on les a si peu à cet âge-là… Et puis, ils ne comprennent pas, ils aiment mieux leur nourrice que leur mère… Quand je voulais l’embrasser, il se détournait, il se jetait contre sa nourrice… Il aurait peut-être été méchant pour moi… Il ressemblait tellement à son père.

Robert. — Il vous aurait aimée, madame.

Blanche. — Les enfants sont des ingrats, bien souvent. Mais pourquoi me parlez-vous de lui ? (Elle le regarde un instant, puis, brusquement :) Quel âge avez-vous ?

Robert, à part. — Le moment n’est pas arrivé. (Haut.) J’ai vingt et un ans.

Blanche. — Lui en aurait dix-neuf… Et je suis bien sûre qu’il serait moins bon que vous pour sa pauvre mère qui a tant souffert.

Robert. — Madame… (On frappe à la porte.) Entrez.