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Scène III


LES MÊMES, UN MÉDECIN

(Dès son entrée, le médecin doit, par son allure et par son geste, donner l’idée de la brusquerie. Il passe devant Robert — qui fait un pas à sa rencontre — en saluant d’un bon sourire et d’un mouvement de tête sec. — Blanche, aussitôt qu’elle a vu le nouvel arrivant, s’est laissée retomber en une pose accablée.)

Robert. — Bonjour, docteur.

Le Médecin. — Bonjour, mon ami. (Il ne s’est pas arrêté, est allé droit à Blanche. Il la regarde, lui tâte le pouls, sourit. Il s’adresse à Robert.) A-t-elle mangé sa côtelette ?

Robert. — Oui, docteur. Puis, comme elle avait encore faim, j’ai cru pouvoir lui accorder un œuf à la coque et une belle grappe de raisin ?

Le Médecin, souriant. — Tout ça ?…

Blanche. — Elle était si petite, la côtelette.

Le Médecin. — On peut lui donner tout ce qu’elle voudra. Seulement, elle ferait aussi bien de se lever, de sortir, de se promener. (À Blanche.) Vous êtes guérie. Vous n’avez plus besoin de moi.

Blanche. — Oh ! si docteur, revenez. Je vous en prie. Je ne me sens pas encore bien.

Le Médecin, haussant les épaules. — Vous vous portez aussi bien que moi. (Il lui tâte le pouls de nouveau.) Plus la moindre fièvre. Encore un peu de faiblesse, parbleu. Mais vous ne reprendrez vos forces qu’en marchant, en vivant au grand air. Vous n’avez plus qu’à vous remettre au rythme de la vie.

Blanche. — Docteur, vous vous trompez… Aïe, aïe… je souffre tant… Je n’ai pas de fièvre en ce moment… Mais si vous étiez venu tout à l’heure… Et puis, la fièvre, ce n’est pas tout. La souffrance… aïe… c’est quelque chose aussi.

Le Médecin. — Vous ne souffrez plus.

Blanche. — Ah ! si vous sentiez le feu que j’ai dans l’estomac, et le poids que j’ai sur la poitrine, et tout… et tout ce que je sens… Vous ne trouveriez pas, allez ! que ce n’est pas de la souffrance.