Page:Ryner - Les Esclaves, 1925.djvu/14

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Sinon, d’où viendraient leur puissance et leur bonheur ? Et cette chrétienne dit les plus absurdes des folies.

Agnès. — Je dis la sagesse. Jésus de Nazareth est venu pour sauver les petits. Son royaume n’était pas de ce monde. Malheur à ceux dont le royaume est de ce monde.

Stalagmus (d’une voix dure). — Tout royaume est de ce monde.

Agnès (à Stalagmus). — Toi, tu es bon pour tous les autres comme si tu étais chrétien. Mais, avec moi, depuis quelque temps, tu es méchant. Pourquoi ?

Stalagmus. — Parce que ton ventre est plein. Parce que tu portes en toi tout un avenir d’esclavage. Crois-moi. Dès que l’enfant paraîtra à la lumière, étrangle-le de mains pieusement maternelles. Ainsi ton amour lui épargnera, et à beaucoup d’autres, à tous ceux qui couleraient de lui, les douleurs et les hontes de la vie servile.

Agnès. — Mon enfant ne sera pas esclave.

Sostrata. — Pourquoi ?

Agnès. — Le couchant est toujours noir de nuit, de nuages et de dieux méchants. Mais l’aube blanchit déjà la pureté de l’Orient. La Bonne Nouvelle de Jésus de Nazareth est une lumière qui monte et qui s’élargit. Bientôt, le soleil brillera pour tous. Bientôt, le monde sera chrétien.

Palinurus. — Jamais.

Stalagmus (le regard lointain). — Ce que dit la chrétienne, touchant l’avenir, est véritable. Je le vois.

Agnès (joyeuse). — Alors, tu vois le bonheur inonder la terre comme la clarté nous inonde au milieu du jour.

Stalagmus. — Attends. Favorise-moi de ton silence. Laisse la brume de lointain se disperser lentement sous mon vouloir ému. Laisse. Je commence à distinguer la vie de ton fils.

Agnès. — Elle est heureuse, j’en suis certaine.

Stalagmus. — Elle est telle que la nôtre. Seule, sa mort est une duperie joyeuse.

Agnès. — Comment meurt-il ?

Stalagmus. — Il meurt sur une croix, comme ton Dieu.