Page:Ségur - Lettres d une grand mère.djvu/91

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Kermadio, 1871, 13 février.

Cher enfant, j’ai reçu une lettre de Jeanne qui m’annonce la frayeur qu’a eue la petite Françoise ; elle jouait près d’un petit bassin ; elle a glissé et elle est tombée dedans ; heureusement elle n’avait de l’eau que jusqu’aux genoux ; elle a crié, appelé Jeanne à son secours ; mais elle était sûre de mourir, ayant entendu dire que lorsqu’on tombait dans l’eau après avoir mangé, on mourait de suite ; et comme elle sortait de déjeuner, elle a cru mourir en quelques minutes, de sorte qu’elle était au désespoir, la pauvre petite ; on l’a calmée facilement et elle en a été quitte en changeant de chaussures et de vêtements…Pierre, que son père a rappelé la semaine dernière, a mis quatre jours pour venir de Rennes à Aube ; il a dû coucher trois fois en route, ne trouvant pas de voiture, pas même de carriole ; tous les chevaux avaient été pris par les Prussiens et par notre artillerie et cavalerie. Je pense que la paix est signée, puisque l’armistice finit aujourd’hui à minuit. Dieu veuille nous rendre la paix ! ..

J’ai reçu hier des nouvelles de ton père qui allait bien et qui bataillait avec ton oncle Anatole et tous les maires du canton de Laigle contre les Prussiens de Laigle qui voulaient faire payer à tous les habitants du canton une contribution de guerre de 25 fr. par tête, hommes, femmes et enfants. Ton oncle a écrit à Versailles à Bismarck pour se plaindre de cette exaction. La paix va couper court à toutes ces voleries ; et sous peu, nous n’aurons plus ces brigands à redouter…..

Je continue à aller bien… Ton oncle Gaston t’embrasse et t’envoie sa bénédiction. 11 prêche le carême à Auray. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.


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