Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/373

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galer ses lapins à mes dépens. Elle regardait de temps en temps dans l’auget.

« Comme il mange ! disait-elle. Il n’en finira pas… Il ne doit plus avoir faim, et il mange toujours… L’avoine diminue ; pourvu qu’il ne mange pas tout… S’il en laissait un peu seulement, je serais si contente ! »

J’aurais bien mangé tout ce qui était devant moi, mais la pauvre petite me fit pitié ; elle ne touchait à rien, malgré l’envie qu’elle en avait. Je fis donc semblant d’en avoir assez, et je quittai mon auget, y laissant la moitié de l’avoine ; Jeanne fit un cri de joie, sauta sur ses pieds, et, prenant l’avoine par poignées, la versa dans son tablier de taffetas noir.

« Que tu es bon, que tu es gentil, mon gentil Cadichon ! disait-elle. Je n’ai jamais vu un meilleur âne que toi… C’est bien gentil de ne pas être gourmand ! Tout le monde t’aime parce que tu es très bon… Les lapins seront bien contents ! Je leur dirai que c’est toi qui leur donnes de l’avoine. »

Et Jeanne, qui avait fini de tout verser dans son tablier, partit en courant. Je la vis arriver à la petite maisonnette des lapins, et je l’entendis leur raconter combien j’étais bon, que je n’étais pas du tout gourmand, qu’il fallait faire comme moi, et que, puisque j’avais laissé l’avoine à des lapins, eux devaient en laisser pour les petits oiseaux.