Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/80

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dédier à Néron son traité de la Clémence. Il me semble qu’un passage du livre xiii, chap. ii, des Annales de Tacite, fournit à cet égard une explication assez satisfaisante. On y lit (à l’occasion de la réintégration de Plautius Lateranus dans le sénat) que Néron prononçait fréquemment des discours par lesquels il s’engageait à gouverner avec clémence, et que ces discours étaient l’ouvrage de Sénèque, qui, en les composant, avait pour but, soit de prouver au public qu’il inspirait à l’empereur des sentimens louables, soit de faire parade de son talent. Le mot de clémence revenait sans cesse dans ces discours, non-seulement pour rendre la sécurité au monde, encore épouvanté des forfaits qui avaient souillé les règnes précédens, mais encore pour satisfaire le penchant de Sénèque à censurer indirectement tout ce qui s’était fait sous le dernier de ces règnes[1]. Or, les faits que raconte Tacite se rapportent à la première année du règne de Néron, c’est-à-dire précisément à l’époque où le traité de la Clémence fut composé. N’est-il pas naturel de conjecturer que ce fut en se livrant à ces travaux politiques que Sénèque conçut l’idée d’un traité philosophique sur la vertu, dont il avait tant parlé ? Dans une telle situation, la dédicace de l’ouvrage à Néron était en quelque sorte obligée ; et d’ailleurs Sénèque trouvait l’occasion de lui rappeler les paroles et les actes par lesquels ce prince semblait promettre à Rome un avenir si différent du passé. La conduite des hommes, non-seulement celle du vulgaire, mais même celle des esprits supérieurs, s’explique presque toujours par des motifs plus simples qu’on ne le croit ordinairement.

Le traité de la Clémence est un bel ouvrage ; on aimerait, je le conçois, à y voir aussi une belle action, mais les faits le permettent-ils ? Le lecteur a sous les yeux les élémens de solution de la question ; c’est à lui de juger. Un trait de courage, d’indépendance, de vertu sous le despotisme ! rien ne serait plus consolant pour l’humanité ; mais quelle masse de preuves il faudrait pour croire à ce phénomène ! Sénèque avait adressé à Polybe, affranchi de Claude, un traité de la Consolation plein de flatteries envers ce misérable. Depuis il traça l’apologie du parricide ; il fit dire à

  1. Voyez Tacite, Annales, liv. xiii, ch. 4 et 5. On lit dans le ch. 4 : Ea maxime declinans quorum recens flagrabat invidia.