Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/272

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ne sortira-t-il pas de son calme, son âme ne sera-t-elle pas agitée ? Je l’avoue, il éprouvera une légère, une imperceptible émotion. Car, disait Zénon, dans l’âme du sage, quand même la plaie est guérie, la cicatrice reste. Oui, des semblants, des ombres de passions viendront l’effleurer ; mais des passions réelles, jamais. Aristote prétend que certaines passions servent comme d’armes pour qui sait bien en user ; ce qui serait vrai si, comme les armes de guerre, on les pouvait prendre et quitter à volonté. Mais celles qu’Aristote prête à la vertu, frappent d’elles-mêmes, sans attendre qu’on les saisisse : nous sommes leurs instruments ; elles ne sont point le nôtre. Et qu’avons-nous besoin d’aides étrangers ? la nature ne nous donne-t-elle point, dans la raison, une arme assez forte ? Celle-là du moins est éprouvée ; inaltérable, toujours prête, elle ne trahit jamais, n’est jamais renvoyée contre nous. La raison suffit à la fois et au conseil et à l’action. Quoi de moins sensé que de la faire recourir à la colère, d’associer l’immuable au passager, la fidélité à la trahison, la santé à la maladie ? Et si je vous prouve que dans les actes mêmes, qui semblent l’œuvre exclusive de la colère, la raison toute seule y apporte plus d’énergie ? Dès qu’en effet elle a prononcé que telle chose doit s’accomplir, elle y persiste, ne pouvant, pour changer, trouver mieux qu’elle-même ; son premier arrêt est irrévocable. La colère, au contraire, a souvent fléchi devant la pitié ; car sa force n’est que bouffissure, sans consistance ni solidité : c’est une bourrasque, pareille à ces vents de terre qui, s’élevant du sein des fleuves et des marais, ont de la violence et ne tiennent pas. Elle débute par de vifs élans pour s’affaisser par une lassitude précoce :