Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/271

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je ne prescrirais pas le même traitement. Médecin préposé pour guérir le public, je vois dans les âmes une grande variété de vices, et je dois chercher un remède à chaque maladie. Ici réussira la honte, là l’exil, ailleurs la douleur physique ; plus loin la perte des biens, de la vie. Si je dois endosser la robe sinistre du juge, s’il y a lieu de convoquer le peuple au son de la trompette, je monterai sur mon tribunal sans courroux, sans animosité, le visage impassible comme la loi, dont le langage solennel veut un organe qui soit calme, grave et point passionné ; et si je commande au licteur d’exécuter la loi, je serai sévère, et non point irrité. Que je fasse tomber sous la hache une tête coupable, ou coudre le sac du parricide, ou supplicier un soldat, ou précipiter de la roche Tarpéienne un traître, un ennemi public, la colère n’agitera pas plus mes traits ni mon âme, que lorsque j’écrase un reptile ou un animal venimeux. — « Mais on a besoin de colère pour punir ? » En quoi la loi vous semble-t-elle irritée contre des hommes qu’elle ne connaît pas, qu’elle n’a jamais vus, dont elle n’a pu prévoir l’existence ? Prenons les mêmes sentiments qu’elle : elle ne se courrouce point, elle a établi une règle.

Si le juste doit se courroucer contre le crime, il devra donc aussi porter envie aux succès des méchants. Car quoi de plus révoltant que de voir comblés jusqu’à satiété des faveurs de la fortune, des hommes pour qui la fortune ne saurait assez inventer de maux ? Mais leurs avantages excitent aussi peu son envie que leurs crimes sa colère. Un bon juge condamne ce que la loi réprouve ; il ne hait point.

« Quoi ! quand le sage trouvera sous sa main quelque vice,