Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/287

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l’homme heureux, on le hait ; le malheureux, on le méprise ; un grand vous écrase ; vous écrasez les petits ; chacun a sa passion qui l’incite contre son voisin : pour un caprice, pour une chétive proie, on aspire à tout bouleverser. C’est une vie de gladiateurs vivant en commun pour combattre ensemble. C’est la société des bêtes féroces : et que dis-je encore ? celles-ci sont pacifiques entre elles et ne s’attaquent point à leur espèce ; l’homme s’abreuve du sang de l’homme ; en cela seul il se distingue de la brute que l’on voit lécher la main qui lui passe à manger, tandis qu’il assouvit sa rage sur ceux mêmes qui le nourrissent. Le courroux du sage ne s’éteindra jamais s’il s’allume une fois : partout débordent les vices et les crimes, trop multipliés pour que le frein des lois y remédie. Une affreuse lutte de scélératesse est engagée ; la fureur de mal faire augmente chaque jour à mesure que diminue la pudeur. Abjurant tout respect du juste et de l’honnête, n’importe où sa fantaisie l’appelle, la passion y donne tête baissée. Le génie du mal n’opère plus dans l’ombre, il marche sous nos yeux ; il est à tel point déchaîné dans la société, il a si fort prévalu dans les âmes que l’innocence n’est plus seulement rare, elle a disparu totalement. Il ne s’agit plus en effet de quelques violations de la loi, individuelles ou peu nombreuses, c’est de toutes parts, et comme à un signal donné, que la race humaine se lève pour confondre les notions du bien et du mal.

« L’hôte ne peut se fier à son hôte, ni le beau-père au gendre ; entre les frères aussi, l’affection est rare. L’époux songe à se défaire de sa femme, la femme de son mari. Les terribles marâtres préparent d’affreux poisons. Le fils, avant le terme, calcule les années de son père. »