Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/289

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mortelle, il y a cet aveuglement d’esprit qui nous fait une nécessité, non seulement d’errer, mais d’aimer nos erreurs. Pour ne point sévir contre quelques-uns, pardonnons à tous : enveloppons l’humanité entière dans notre indulgence. Si nous nous fâchons contre le jeune homme ou contre le vieillard qui fait une faute, fâchons-nous donc aussi contre l’enfant parce qu’il doit faillir un jour. Or, peut-on en vouloir à cet âge, qui n’est pas encore celui du discernement ? Eh bien ! l’excuse doit être plus valable, plus légitime pour l’homme que pour l’enfant. Nous sommes nés sous cette condition : être sujets à autant de maladies de l’âme que du corps ; non que notre intelligence soit lente ou obtuse, mais nous employons mal sa subtilité, et les vices des uns servent d’exemple aux autres. Chacun suit son devancier dans la fausse route qu’il a prise ; et comment ne pas excuser ceux qui s’égarent sur une voie devenue la voie publique ?

X. La sévérité d’un chef d’armée punit les faits particuliers ; mais il faut bien faire grâce quand toute l’armée l’a abandonné. Ce qui désarme la colère du sage, c’est le nombre des délinquants. Il sent trop l’injustice et l’imprudence de poursuivre des torts qui sont ceux de tous. Chaque fois qu’Héraclite, au sortir de chez lui, voyait de toutes parts tant d’insensés vivre ou plutôt périr si déplorablement, il pleurait et se prenait de compassion pour ceux surtout qui portaient le masque du bonheur et de la joie : c’était faire preuve de sensibilité, mais plus encore de faiblesse ; c’était être à plaindre, autant que les autres. Démocrite, au contraire, ne se trouvait jamais en public sans rire, tant il était loin de prendre au sérieux ce qui se faisait le plus sérieusement. La colère ici-bas est-elle raisonnable ? Il