Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/290

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y faudrait ou rire ou pleurer de tout. Non, le sage ne s’irritera pas contre ceux qui pèchent ; et pourquoi ? parce qu’il sait qu’on ne naît pas sage, mais qu’on le devient ; que dans le cours des siècles il se forme à peine quelques sages ; parce que la nature humaine lui est bien connue, et qu’un bon esprit n’accuse pas la nature. S’étonnera-t-il que des fruits savoureux ne pendent point aux buissons sauvages ; que les épines et les ronces ne se chargent point de quelque production utile ? On n’est pas choqué d’une imperfection qu’excuse la nature. Le sage donc, indulgent et juste pour les erreurs, censeur de nos faiblesses, mais toujours notre ami, ne sort jamais sans se dire : Je vais partout rencontrer des gens adonnés au vin ou à la débauche, des cœurs ingrats, intéressés, agités par les furies de l’ambition ; et il les voit d’un œil aussi serein que le médecin voit ses malades. Le maître du vaisseau, dont la charpente désunie fait eau de toutes parts, ne s’en prend pas aux matelots ni au bâtiment. Il fait mieux ; il court au remède, ferme passage à l’onde extérieure, rejette celle qui a pénétré, bouche les jours apparents ; combat, par un travail continu, l’effet des voies inaperçues et des secrètes infiltrations ; il ne se rebute pas parce qu’il voit l’eau se renouveler à mesure qu’on l’épuise. Il faut une lutte infatigable contre des fléaux toujours actifs, toujours renaissants, sinon pour qu’ils cèdent, du moins pour qu’ils ne prennent pas le dessus.

XI. « La colère, dit-on, a cela d’utile, qu’elle préserve du mépris, qu’elle effraye les méchants. » Mais d’abord, si la colère est à la hauteur de ses menaces, par cela même qu’elle se fait craindre, elle se fait haïr ; et il est plus dangereux d’inspirer la