Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/295

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lorsqu’on voit l’athlète, qui cultive la plus grossière partie de lui-même, supporter patiemment les atteintes les plus douloureuses, pour épuiser les forces de l’adversaire ; s’il riposte, c’est l’à-propos qui l’y invite, et jamais le ressentiment. Pyrrhus, dit-on, ce fameux maître d’exercices gymniques, recommandait toujours à ses élèves de ne point s’irriter. La colère, en effet, trouble tous les calculs de l’art, préoccupée qu’elle est de frapper, au lieu de parer les coups. Ainsi souvent, quand la raison conseille la patience, la colère crie : « Venge-toi, » et, d’un mal d’abord supportable, nous jette dans un pire. Un seul mot blessant coûta parfois l’exil à qui ne sut pas l’endurer ; pour n’avoir pas dévoré en silence une faible injure, on s’est vu écrasé sous d’affreuses catastrophes ; et tel pour s’être révolté d’une légère restriction à la plus pleine liberté s’est attiré le joug le plus accablant.

XV. « Pour être convaincu, dit-on, que la colère est une passion généreuse, voyez les nations libres : elles sont en même temps les plus colères, tels les Scythes et les Germains. » C’est qu’en effet les âmes d’une trempe forte et naturellement solides, quand la civilisation ne les a pas disciplinées, sont promptes à s’irriter ; c’est qu’il est des vices qui ne prennent naissance que chez les meilleurs caractères. Un sol heureux, fût-il négligé, se couronne encore d’une végétation riche et puissante ; fécondé par l’homme, ses produits sont autres et bien plus nombreux. Ainsi, dans les âmes essentiellement courageuses, l’irascibilité est fruit du terroir : pleines de sève et de feu, rien de chétif ni d’avorté n’en sort ; mais ce n’est qu’une énergie brute, comme tout ce qui s’élève sans culture, par la seule vertu de la nature ; et si l’éducation ne