Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/294

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vrai non plus, comme l’ont cru quelques-uns, que la route des vertus soit difficile ni escarpée ; on y va de plain-pied, et je ne crois pas vous conter des chimères, on chemine aisément vers ces sources de la vie heureuse : il suffit qu’au départ l’âme soit bien préparée et qu’elle mérite l’assistance des dieux. Hélas ! vous faites pour le mal beaucoup plus qu’il ne faudrait faire pour le bien ; car est-il loisir plus parfait que celui d’une âme en paix ; est-il tourment égal à la colère ? quoi de plus paisible que la clémence, et de plus orageux que la cruauté ? La chasteté est en repos ; l’incontinence, toujours en agitation. Toutes les vertus enfin s’entretiennent sans beaucoup d’efforts ; les vices seuls coûtent cher à nourrir.

Doit-on écarter la colère ? C’est en partie ce qu’avouent ceux qui sont d’avis de la modérer. Proscrivons-la tout à fait : rien d’utile n’en pourrait sortir. Qu’elle disparaisse, et plus facilement, plus efficacement le crime sera prévenu, le méchant puni et ramené dans la route du bien.

XIV. Pour accomplir ses devoirs, le sage n’admettra point d’impur auxiliaire, point de mauvais principe dont il aurait à surveiller péniblement les écarts. La colère n’est donc de mise en aucun temps, si ce n’est peut-être son simulacre, quand il s’agit de commander l’attention d’esprits paresseux ; ainsi l’on emploie le fouet ou la torche pour aiguillonner un cheval lent à prendre sa course. Où la raison est impuissante, souvent l’ascendant de la crainte est nécessaire. Mais la colère n’est pas plus utile à l’homme que l’abattement ou la frayeur. « Eh quoi ! ne survient-il pas maintes occasions qui provoquent la colère ? » C’est alors surtout qu’il faut lui opposer plus de résistance. Est-il donc si difficile de vaincre les mouvements de son âme,