Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/303

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Mais tout ceci ne s’applique qu’à nos enfants. Pour nous, le hasard de la naissance et l’éducation ont produit leur effet ; le temps est passé où commencent à agir le vice ou ses préservatifs : nous ne pouvons plus réformer chez nous que l’âge mûr.

J’ai dit qu’il faut combattre tout ce qui provoque la colère. Un motif de ressentiment, c’est l’idée qu’on a reçu une injure. Ne nous y livrons point facilement ; ne croyons pas tout d’un coup aux apparences même les plus frappantes. Souvent ce qui n’est pas vrai est très vraisemblable ; différons donc : le temps met au jour la vérité. N’ouvrons pas aux bruits accusateurs une oreille complaisante. Connaissons bien et fuyons ce travers de l’humaine nature qui nous fait croire le plus volontiers ce qu’il nous fâche le plus d’entendre et prendre feu avant de juger.

XXIII. Que dire de cette susceptibilité, non pas même sur des rapports, mais sur de simples soupçons, et de ces emportements contre un air de visage ou un sourire inoffensifs mal interprétés ? Plaidons contre nous-mêmes la cause de l’absent, et tenons en suspens notre courroux. Une vengeance différée peut s’accomplir ; mais accomplie, elle est irrévocable. On connaît cet Athénien qui avait conspiré la mort d’Hippias. Surpris avant d’avoir accompli son projet, on le tortura pour lui arracher le nom de ses complices, et il indiqua parmi les spectateurs ceux des courtisans qu’il savait tenir le plus à la vie du tyran. Hippias, les ayant fait mettre à mort l’un après l’autre à mesure qu’ils étaient nommés, demande s’il en reste encore. « Il ne reste plus que toi, répond l’Athénien, car je ne t’ai laissé personne à qui tu fusses cher au monde. » Ce fut la colère qui porta le tyran à