Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/304

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prêter son bras au tyrannicide, à immoler de son propre glaive ses défenseurs. Avec combien plus de magnanimité, Alexandre, averti par une lettre de sa mère, de prendre garde au poison de son médecin Philippe, but sans crainte le breuvage que celui-ci lui présentait ! Le cœur du prince jugea mieux un ami. Il était digne de l’avoir innocent, digne de le rendre à la vertu, s’il l’eût trahie : action, selon moi, d’autant plus louable dans Alexandre, qu’il était plus porté à la colère. Or, plus la modération est rare chez les rois, plus il faut y applaudir.

On cite un trait analogue de ce Caius César qui, dans nos guerres civiles, fut si clément après la victoire. Il était tombé entre ses mains des portefeuilles contenant la correspondance entre Pompée et ceux qui paraissaient avoir suivi le parti contraire, ou être restés neutres ; il brûla toutes ces lettres ; et, bien que d’habitude il fût fort modéré dans sa colère, il aima mieux la prévenir, pensant que la plus gracieuse manière de pardonner est d’ignorer les torts de chacun. Notre crédulité fait la plus grande partie du mal. Souvent on ne doit pas même écouter, car, dans certaines choses, mieux vaut être trompé que condamné à la défiance.

XXIV. Loin de nous ces soupçons, ces fâcheuses conjectures, qui irritent si souvent à faux. Un tel m’a salué peu civilement ; l’embrassade de tel autre a été bien froide ; celui-ci a brusquement rompu son propos commencé ; celui-là ne m’a pas invité à son repas ; j’ai vu de l’éloignement sur le visage de tel autre. Jamais les prétextes ne manquent aux gens soupçonneux ; voyons plus simplement les choses, et jugeons-les avec bienveillance. Ne croyons qu’à ce qui frappe nos yeux, qu’à l’évidence elle-même ; et quand nous reconnaîtrons que nos