Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/333

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qui ne provoquent pas vos vivacités, et qui sachent les souffrir. Vous aurez surtout à vous applaudir de ces naturels flexibles et polis, dont la douceur pourtant ne va pas jusqu’à l’adulation ; car près des gens colères, l’excès de la flatterie tient lieu d’offense. Tel était l’un de nos amis, excellent homme assurément, mais d’une susceptibilité trop prompte : chez lui, la flatterie risquait d’être aussi mal reçue que l’invective. On sait que l’orateur Célius était fort irascible. Un jour, dit-on, il soupait avec un de ses clients, homme d’une patience rare. Celui-ci toutefois, sentant bien que, tête à tête avec un pareil interlocuteur, il lui serait difficile de prévenir toute altercation, crut que le mieux serait d’être toujours de son avis et de dire comme lui. Célius, impatienté d’une si monotone approbation, s’écria : Contredis-moi donc, pour que nous soyons deux ! Et toutefois, après ce mouvement d’humeur, parce que l’autre ne se fâchait point, il se calma aussitôt faute d’adversaire. Si donc nous avons la conscience de notre penchant à la colère, vivons de préférence avec les personnes qui s’accommodent à notre humeur et à nos discours ; sans doute elles pourront nous gâter, nous faire prendre la mauvaise habitude de ne rien entendre qui nous contrarie, mais notre mal y gagnera d’heureux intervalles de repos. Notre caractère, quelque difficile et intraitable qu’il soit, se laissera du moins caresser : qui pourrait se montrer farouche et se cabrer à l’approche d’une main amie ?

Dès qu’une discussion s’élève, et menace d’être longue et opiniâtre, sachons d’abord nous modérer, et n’attendons pas qu’elle s’enflamme. La lutte nourrit la lutte : une fois engagée, elle nous pousse toujours plus avant ; et n’y point entrer est plus facile que s’en dégager.