Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/348

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Mais ce n’est pas la cruauté d’un Caligula, ce sont les maux de la colère que je me suis proposé de décrire, de la colère, qui ne s’attaque pas seulement à tel ou tel homme, qui mutile des nations entières, frappe des cités et des fleuves, et des objets qui ne peuvent sentir la douleur. Un roi de Perse fait couper le nez à tous les habitants d’une contrée de Syrie, qui de là est appelée Rhinocolure. On ne leur a pas tranché la tête : appellerez-vous cela indulgence ? C’est un supplice d’espèce nouvelle dont le tyran s’est amusé.

Quelque chose de pareil menaçait ces peuples d’Éthiopie que leur longévité a fait nommer Macrobiens. Au lieu de tendre humblement les mains aux fers de Cambyse, ils avaient répondu à ses envoyés avec une liberté que les rois appellent insolence. Cambyse en frémissait de rage ; et sans nulle pro— vision de bouche, sans avoir fait reconnaître les chemins, il traînait après lui, à travers des déserts arides et impraticables, tout le matériel d’une armée. Dès la première marche plus de vivres, nulle ressource dans ces contrées stériles, incultes, qui ne connaissaient pas de vestiges humains. On apaisa d’abord sa faim avec les feuilles les plus tendres et les bourgeons des arbres ; puis on mangea du cuir ramolli au feu, et tout ce que la nécessité convertit en aliments. Enfin, au milieu des sables, les racines aussi, puis, les herbes venant à manquer, et les troupes ne voyant devant elles qu’une solitude dépourvue même de tout être vivant, il fallut se décimer ; et l’on eut une pâture plus horrible que la faim même. La colère poussait encore le despote en avant bien qu’une partie de son armée fût perdue, une partie mangée, tant qu’à la fin, craignant d’être à son tour appelé à subir les chances du